Il existe trois types d’empathie qui se complètent et nous permettent de nous mettre à la place d’autrui.
Pour le meilleur et…
Il y a d’abord ce qu’on appelle l’empathie cognitive, qui me permet de déduire d’un certain comportement d’autrui observable quelles sont ses intentions et même de lui attribuer des pensées. Cela fonctionne très bien. Si je suis en voiture et qu’un automobiliste devant moi met son clignotant, je sais qu’il va tourner. Mais si le clignotant reste allumé trop longtemps, je comprends qu’il l’a oublié.
Quand, au travail, je présente un projet nouveau à mes collègues, je sais d’avance à qui il va plaire, à qui il va déplaire, je suis capable d’anticiper les doutes et les objections, et je construis mon argumentaire en fonction de ceux-ci. Si nous n’avions pas cette capacité de lire dans la conscience d’autrui, les échanges socioprofessionnels et l’éducation seraient impossibles. Pour apprendre la lecture à un enfant, il faut se remettre dans la disposition où nous étions quand nous ne savions pas lire et choisir la bonne stratégie explicative. Autre expérience courante : vous êtes à l’étranger et vous avez commis un impair, vous sentez immédiatement, à la réaction des autres, que vous avez manqué de tact. Ici, l’empathie cognitive est d’autant plus étonnante que l’attribution à autrui d’intentions et de pensées semble possible même quand on ne partage ni la langue ni la culture.
Mais il existe un deuxième genre d’empathie, qui tient de la contagion émotionnelle. Nous avons une certaine porosité aux émotions des autres, elles déteignent sur nous. Si je me mets à table et que tout le monde rit, je ressens la gaieté, idem pour la peur, la colère, la mélancolie, le désir… Les émotions sont comme des feux allumés en forêt : elles se propagent. Cette porosité est néanmoins variable selon les personnes. En effet, plusieurs expériences en psychologie cognitive – consistant à demander de deviner, à partir de séries de photos dévisagés, quelle est l’émotion correspondante – montrent qu’il y a des écarts importants entre les scores obtenus d’un individu à l’autre, Chacun est plus ou moins réceptif à l’état émotionnel d’autrui, et cela indépendamment de l’empathie cognitive.
Et pour le pire…
En troisième lieu vient l’empathie compassionnelle, assez proche de la pitié. Il s’agit d’un cas particulier de l’empathie émotionnelle. Elle est plus morale que cette dernière, dans la mesure où elle me conduit à partager la douleur ou la souffrance d’autrui. Certaines études en psychologie, menées, par exemple, auprès de jeunes délinquants auteurs d’actes de cruauté, montrent que cette empathie compassionnelle est, dans leur cas, altérée ou bloquée. C’est ce qui permet de frapper autrui ou de lui faire mal sans rien ressentir soi-même. Cependant, l’empathie compassionnelle n’est qu’un registre spécifique, à mi-chemin entre l’émotion et la réflexion éthique, qui n’a pas la portée bien plus large de l*empathie cognitive et de l’empathie émotionne lie. C’est pourquoi la seconde idée reçue présentée au début de cet article est très contestable. Notre capacité à nous mettre à la place d’autrui – réelle et remarquablement fiable – ne nous dirige pas nécessairement vers le bien.
Pour un tortionnaire, être empathique est presque un gage de compétence professionnelle. Tel supporte bien la douleur physique et ne passera jamais aux aveux tant qu’on lui fait mal, alors qu’il cédera si l’on menace de violer sa sœur. Pour un autre, ce sera l’inverse. Même chose pour obtenir des aveux lors d’une garde à vue dans un commissariat : l’interrogateur doit suivre le cheminement intérieur du suspect. Les petits chefs accusés de harcèlement moral, les pervers ne peuvent mettre en place leurs stratégies de domination insidieuse qu’à l’aide de l’empathie. C’est pourquoi les deux stéréotypes de départ peuvent être purement et simplement retournés : les êtres humains sont prodigieusement doués pour se mettre à la place d’autrui… mais ça n’est pas forcément une bonne nouvelle !
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